La lente gestation de la médecine en réseau


Le tout-numérique envahit la médecine et la chirurgie. Il ouvre la voie à de nouvelles coopérations entre médecins. Mais la technologie, tout comme la pratique médicale et le droit, doit encore beaucoup progresser.

Comment éviter la disparition des petites maternités, qui ne peuvent s'assurer les services permanents de spécialistes de haut niveau? Dans le Nord de la France, le problème a été résolu en reliant la maternité de Béthune au centre hospitalier universitaire de Lille (unité Loginat). Une liaison à 64 kilobits permet la communication de la voix et du visage des participants ainsi que les images échographiques en temps réel.

Dans la médecine moderne, le praticien ne peut plus travailler seul. Le généraliste complète sa connaissance du malade par les compétences et l'équipement particulier du spécialiste. Le spécialiste appartient à une équipe et fait travailler des sous-traitants, comme le prothésiste dentaire. Le médecin hospitalier joue son rôle dans une vaste structure. Et tous les médecins dialoguent avec les laboratoires d'analyse. Sans parler du lien continu avec leurs assistantes.

Bref, plus de médecin sans réseau. Le téléphone sonne dans les cabinets depuis ses origines. La transmission des données a fait l'objet d'expériences dès les années 60. Avec par exemple un analyse d'électro-cardiogramme aux Etats-Unis à partir d'un examen fait au congrès de Toulouse de 1968. La visio-conférence, complétée de transmission de données, a montré son efficacité depuis le début de la décennie, tout en restant un peu chère. Et nous allons aujourd'hui vers la télé-chirurgie. Le tout s'intègre dans une numérisation généralisée du dossier médical. Depuis le traitement de texte pour l'ordonnance jusqu'à la réalité virtuelle en passant par toute la gamme des échographes, scanners et, dans une certaine mesure, caméras radioscopiques.

Trois réunions récentes ont montré différents volets de ce passage au réseau: le congrès CVRMed'95 à Nice (voir article page 13), les journées Télémedecine au salon Informedica à Paris (voir encadré ci-dessous), et la réunion du club de l'Hypermonde sur la télémédecine, à Paris.

Le sens de la communauté

Le très respectable Ordre national des médecins a lui-même décidé de s'engager dans cette voie. Il a engagé, comme "chargé des technologies de l'information et des communications" le docteur Christophe Duvaux, qui a pratiqué concrètement le télédiagnostic à Lille pendant plusieurs années.

A noter, dans l'expérience lilloise, que la consultation au coup par coup s'est avérée rapidement impraticable, faute d'une disponibilité simultanée des médecins aux deux bouts de la ligne. L'expérience s'est donc appuyée sur la réunion hebdomadaire, un peu transversale, du CHU. L'équipe de Béthune a désormais pu y participer. La liaison recréait le "lien ombilical" entre les médecins de terrain et la Faculté, laissant place à un fort contenu pédagogique et à la relation maître-élève. Mais elle a finalement conduit à de nouvelles relations de communauté, le jour où les grands patrons, devant un cas spécialement difficile, se sont tournés vers la petite équipe de Béthune et lui ont demandé son avis.

Ces liens de communauté prennent une telle importance qu'ils effacent en partie les limites de la technologie. "La pratique s'est adaptée à l'outil", a précisé Christophe Duvaux au club de l'Hypermonde. Les échographes actuels, par exemple, fournissent de l'information à trop haut débit pour la ligne à 64 kilobits. Mais on peut se ramener à ce débit en limitant les mouvements ou le champ de l'image. D'ailleurs, même à des périodes de moins bon fonctionnement de l'outil, les participants ont tenu à continuer cette expérience. Il ne faut donc pas, poursuit Christophe Duvaux, se laisser dissuader par les exigences théoriques, très élevées, de la radioscopie classique ou des images ophtalmologiques. Des solutions à coût réduit suffisent dans 95% des situations.

Comment invoquer une "responsabilité collective"

Le droit pose plus de problèmes que la technique. La Cnil (Commission nationale informatique et libertés), notamment a édicté de lourdes exigences de principe, impliquant la conservation complète des images aux deux bouts de la ligne. Il faut aussi définir, dans une communauté, à qui appartient l'information. Ni les généralistes, ni les spécialistes ne peuvent s'en désintéresser, pour des raisons de clientèle ou de propriété intellectuelle pour les chercheurs. Enfin, en cas d'erreur, les victimes font de plus en plus appel aux tribunaux pour obtenir réparation. Comment gérer la responsabilité collective d'un réseau?

PB 21/4/1995

:La télémedecine à Informedica


Le salon Informedic a présenté la télémédecine selon trois axes: le médecin en déplacement, la disponibilité envers les patients, les échanges de données médicales. Parmi les principales interventions, retenons:

- Médecine et vol spatial (une rhumatologue s'entraîne pour un vol programmé en 1996).

- Formation médicale continue et visioconférence

- Consultation en médecine tropicale (visioconférence entre le salon et Cayenne)

- Imagerie, banque d'images et télétransmission

- Médecine périnatale, télé-monitoring de grossesses à risques

- Urgences neurochirurgicales: qualité et organisation des soins, aspects économiques et financiers, prospective.

- L'Europe et la télémédecine.



Tout le corps en numérique


L'imagerie médicale repousse ses limites et conduit à la "réalité augmentée"

Pas une partie du corps, y compris les bronches, qui ne puisse se reconstruire numériquement en trois dimensions. Les ordinateurs savent désormais "recaler" les images d'un organe obtenues à différents moments et par différentes sources. Ils peuvent ainsi incruster un image de scanner sur un enregistrement vidéo pour préparer ou assister un opération délicate.

Encore peu de systèmes éprouvés

Réunies à Nice début avril, à l'initiative de l'Inria, une soixantaine d'équipes internationales, alliant chercheurs, médecins et industriels, ont rivalisé de démonstrations. Peu de systèmes, pourtant, dépassent le stade du prototype. Parmi les exceptions, citons l'équipe de Grenoble (le CHU et le laboratoire TIMC-Imag). Ils reconstruisent des images pour la chirurgie vertébrale et crânienne, avec suffisamment de précision pour positionner des outils opératoires comme le laser ou la perceuse.

L'hôpital Pasteur de Nice vient de mettre au point un logiciel d'imagerie capable de distinguer une tumeur des inflammations ou oedèmes qui l'entourent. Et donc de calculer, indispensable pourtant pour définir les doses de chimiothérapie ou d'irradiations appropriées.

L'hôpital Purpan de Toulouse, a montré (à un congrès d'imagerie se tenant au même moment à Cannes) un logiciel qui modélise les os, pour les manipuler et même de les désarticuler sur écran. On simule ainsi les résultats d'opérations de réduction de fractures et de pose de prothèses. L'application, en usage sur le terrain depuis quatre ans, débouche sur un progiciel commercialisable.

Réalité augmentée à Clermont-Ferrand

L'image virtuelle fait irruption dans le bloc opératoire lui-même. Elle se projette sur le corps même de l'opéré, selon le principe de la réalité "augmentée". Plus d'écran qui détourne la perception du chirurgien. Encore moins de casque de réalité virtuelle, impensable pour un chirurgien. L'application fonctionne sur PC, pour un coût d'installation global de l'ordre de 150 000F. Une difficulté cependant: la qualité des images nécessaires impose des expositions prolongées au scanner, ce qui limite actuellement le système à l'expérimentation animale.

Colloques en chaîne

Deux autres réunions feront le point cette année. CAR (Computer aided radiology), à Berlin, du 21 au 24 juin, réunira les radiologues utilisateurs de l'informatique. MRCAS (Medical robotics and computer assisted surgery), à Baltimore, du 5 au 7 novembre. L'année 195, centenaire de la découverte des rayons X par le munichois Roëntgen, marquera-t-elle la percée de la réalité virtuelle dans le monde des radiologues et des chirurgiens? En tous cas, ils ne manquent pas d'argument

Anne-Marie Rouzeré




Du 4 au 6 avril, l'A3F (Association aéronautique et astronomique de France) a réuni à Cannes une centaine de scientifiques de tous bords pour réfléchir et témoigner au sujet des synergies possibles entre imagerie spatiale, industrielle et médicale

L'année 1995, centenaire de la découverte des rayons X par le munichois Roëntgen, sera-t-elle marquée d'une percée de la réalité virtuelle dans le monde des radiologues et des chirurgiens? Du côté des informaticiens, en tout cas, les arguments sont affûtés