• IMAGES A L'HOPITAL


Des sources de financement inattendues


:Les infrastructures informatiques peuvent se payer autrement que par les voies classiques de l'investissement. A Lille, la télévision des malades paye en partie le réseau d'imagerie scientifique. A méditer par tout responsable informatique en quête de finances pour ses projets.

:"Dehors les visionnaires, place aux faiseurs de dollars", écrit John Davis, consultant américain spécialiste du marché informatique. En cette période de crise, les projets grandioses mais coûteux ont de fortes chances de passer à la trappe. Or un DIO dynamique peut trouver des sources de financement non négligeables sans pour autant tendre la sébile à la Direction générale de son entreprise.

Dans cette optique, les journées d'étude organisées par le Forum du droit et des affaires sur "la gestion des images dans l'hôpital" (Paris, Hotel Nikko, les 20 et21 octobre prochains), pourrait ouvrir des horizons aux informaticiens de tous les secteurs économiques. A suivre en particulier l'exposé de Claude Kuhn (Diebold) à propos des "enjeux et structures de coûts".

La démarche du CHRU (Centre hospitalier régional et universitaires) de Lille est particulièrement significative. Ce grand ensemble médical a trouvé un moyen inattendu pour mettre en place le vaste réseau à haut débit dont il rêvait, comme tous les grands hôpitaux.

L'objectif à terme, est de distribuer dans tous les services les coûteuses images réalisées sur les scanners, IRM, appareils de radiographie d'angiographie.

Le malade est prêt à payer pour avoir "la télé"

Or une autre application a besoin de canaux à large bande: la télévision, que de nombreux malades souhaitent recevoir dans leur chambre, de même qu'une ligne téléphonique directe.

Excellente pour lutter contre l'ennui, cette utilisation de la vidéo a un sérieux avantage sur les prestations médicales: les patients payent sans rechigner. Loin d'être négligeables, ces recettes vont financer la moitié des investissements du projet.

Techniquement, le réseau emploie le Bull Cabling System, avec des paires torsadées pour la desserte terminale vers les utilisateurs, assurant un débit supérieur à 10 mégabits/seconde. Des coaxiaux et des fibres optiques offrent un débit de 100 mégabits sur les artères du réseau fédérateur interûbâtiments.

Ces lignes supportent aussi bien le protocole Ethernet que le téléphone et le réseau vidéo. Celui-ci propose dans l'immédiat le choix entre 12 canaux dans 1500 chambres de malade.

Dans l'avenir, la vidéo comportera des services interactifs exploitant le boitier de télécommande du téléviseur, considéré comme des terminaux simplifiés. Sont prévus: messagerie, vidéosurveillance, retours de caméra vidéo vers les moniteurs pour émissions directes internes au centre hospitalier, serveur vidéotex, télévote et même télé-achat. On voit la variété des formes communications offertes par une application qui semble à première vue étrangère aux préoccupations des médecins comme des gestionnaires de l'hôpital: la télévision la plus ordinaire.

Les lenteurs des applications "sérieuses"

Quant à l'imagerie médicale, il lui faudra des années avant de monter sérieusement en charge. En fait, hormis quelques passionnés, la communication des images et des dossiers médicaux au général s'inscrit mal dans la culture des médecins. Ils tendent à se considérer comme propriétaires de l'information sur leurs patients, et invoquent tantôt le secret médical tantôt la protection de leurs recherches pour protéger leurs données. Quant à la consultation à distance d'un spécialiste, elle souvent présentée comme une grande application des réseaux d'imagerie (par exemple entre Rennes et Lannion avec l'application développée par TSI). Mais le médecin estûil si pressé d'avouer ses limites? La fréquence croissante des procès faits par les patients mécontents pourrait à la fois les encourager à s'entourer de nouvelles garanties... et à se méfier d'enregistrements vidéo qui pourraient leur être opposés devant un tribunal.

De plus, la durée de vie des matériels de base (scanners, notamment) atteint dix ou vingt ans. Seuls les derniers installés disposent d'interfaces de communication. Lille prévoit d'en connnecter trois ou quatre dans les six mois, avec une seule console de consultation. Elle servira à valider les concepts et l'ergonomie des applications. La généralisation viendra en même temps que la rénovation générale des services. En 1996, chaque radiologue senior pourrait disposer d'une station.

Du moins, à Lille, les développeurs de systèmes d'imagerie peuventûils désormais s'appuyer sur un câblage généralisé à tout l'hopital. Ils sont sortis du cercle vicieux: réseau sans applications, application sans réseau. Grâce aux emplois ludiques, de la vidéo.

Gérer le mélange des genres

Un tel mélange des genres peut choquer. Faire entrer des considérations de rentabilité dans des services de santé ouvre des perspectives dont l'éthique n'a pas encore été balisée. Tant qu'à diffuser de la vidéo, par exemple, pourquoi ne pas l'assortir de publicités bien ciblées. Une maternité, par exemple, est un environnement idéal pour la promotion des couchesûculottes...

Mais les aspects positifs ne manquent pas d'attraits non plus. Outre la simple distraction, bonne pour le moral, la vidéo peut servir à briser l'isolement des malades (expériences au centre hospitalier Léon Bérard à Lyon pour les enfants isolés en chambre stérile, avec Datapoint), ou à une scolarisation des enfants hospitalisés (Hopital Trousseau).

Hors du secteur hospitalier, bien des responsables informatiques parviennent ainsi à trouver (ou du moins à compléter) le financement des applications et infrastructures ailleurs que dans les frais généraux de l'entreprise. Ils proposant des prestations nouvelles à ses différents interlocuteurs. Les clients payent la télématique nécessaire à leur information (3615 SNCF), les fournisseurs passent par le service EDI maison. Les concurrents se voient parfois contraints de passer sous les fourches caudines d'une application incontournable (réseaux de réservation aérienne aux EtatsûUnis dès les années 80).

Certaines entreprises commencent, moyennant contreûpartie, à faire passer des messages publicitaires dans leurs réseaux vidéo d'information du personnel ou dans les annuaires téléphoniques internes.

Plus directement, le personnel de l'entreprise se porte parfois volontaire pour acquérir par exemple des microûordinateurs qui seront pour partie utilisés au profit de l'entreprise. La Redoute lan‡a une vaste acquisition collective de Macintosh en 1985. Le désir se voit aujourd'hui relancé par les portatifs, éventuellement assortis de certaines formes de télétravail.

Certains médecins utilisent leur caméscope comme outil de travail, pourquoi pas leur microûordinateur?

Une créativité financière autant que technique

Si l'on y ajoute les différents types de partenariat, sponsoring, incitations des collectivités territoriales et autres contrats d'étude et développement, on voit tout l'intérêt de sortir des sentiers battus. La créativité devra s'étendre au plan juridique, sinon même commercial. Même en se limitant au secteur médical et social, la législation fran‡aise offre une vaste panoplie de structures, dont certaines sont particulièrement légères à mettre en place, notamment les fondations ("Image et médecine", à la Salpétrière) et les associations ("L'enfant à l'hôpital" ou "Les amis de l'hôpital Trousseau".

L'Assistance publique (Hôpitaux de Paris) tente aussi une valorisation à l'extérieur e ses compétences vidéo et graphiques, en offrant les services de son "centre de l'image", avec ses spécialistes, sa banque de documents fixes ou animés et son parc d'équipements.

A une époque oû l'argent se fait rare, les informaticiens ont intérêt à mettre leur imagination au pouvoir. Non seulement pour concevoir des architectures et des réalisations de pointe, mais pour élaborer de nouveaux centres de profit. Les applications ludiques et la télévision, a priori bien étrangères au monde de l'entreprise et des activités "sérieuses", ouvrent des perspectives particulièrement intéressantes.

Pierre Berger LMI 7/9/1992