Histoire des Simonon


Jean Simonon, le père de Juliette, de Stéphanie et de Roméo, était dessinateur, graveur. Il était fils de Joseph-Georges Simonon, tailleur, et de Thérèse Stoutmont, habitant vraisemblablement à Liège. Jean avait deux frères et deux soeurs.

Françoise Van de Weck, la mère de Juliette, de Stéphanie et de Roméo, était fille de Viacle Van de Weck, hollandais, peintre en bâtiment, originaire de Sittard, et de ... Delhougne, veuve avec six enfants, qui dirigeait un atelier de confection en tricots. Françoise avait un frère et deux soeurs.


L'ENFANCE
Jean et Françoise Simonon avec leurs enfants ont habité près de Liège, la localité de Tilff dans la jolie vallée de l'Ourthe (maison photographiée au chemin du moulin ?). Juliette est née à Liège, sa soeur et son frère à Tilff.

La soeur de Françoise, Henriette, épouse de Joseph Morel, habitait cette même localité, où elle tenait un petit café en bordure de la rivière. J'y suis allé avec Juliette ma mère et mon frère jumeau Pierre en 1925. Je me souviens encore très bien de la "tante" venant nous chercher à la gare. D'une main nous tenions le vêtement de notre mère pour ne pas la perdre, et de l'autre notre nounours compagnon de voyage. Tante Henriette, au grand sourire radieux, embrasse longuement Maman, puis nous débarrasse de nos nounours en en plaçant un sous chacune de ses aisselles pour prendre nos petites mains dans chacune des siennes et nous conduire en sûreté chez elle.

Intérieur d'une grande simplicité quoique ambiant et confortable. Nous découvrirons des mets inhabituels comme le boudin blanc. Juliette avec son oncle et tante parlait souvent en dialecte wallon. Un soir, l'oncle, pour offrir un verre de "spiritueux" à Juliette, avait découvert la cachette des alcools en roulant le tapis de la salle à manger qui la recouvrait. Cela amusait beaucoup maman. Tante Henriette nous accompagnait en promenade le long de l'Ourthe et nous racontait l'arrivée de l'avant-garde de l'armée allemande à cheval, pendant la guerre de 14-18. Les "hulans", impressionnants avec leur casque à crinière, ne descendaient pas de cheval, mais frappaient aux portes du bout de leur lance pour réclamer un seau d'eau pour leur monture. Il y avait eu un combat sur la colline, de l'autre côté de l'Ourthe. Cela nous impressionnait beaucoup. Nous avons dû séjourner une semaine à Tilff, chez la tante Henriette, avant de reprendre le train pour la France et Châtillon.

Nous sommes retournés à Tilff avec Maman au retour de l'exposition de Bruxelles en 1958. Elle nous a menés devant la maison qui était la leur des décennies plus tôt. Bâtisse basse et longue avec portes et fenêtres en enfilade, en bordure d'une route qui, sortant du bourg, montait une colline. Nous avons vu également l'école, solidement construite dans le centre du petit pays et la boulangerie située dans la rue principale en allant au pont de l'Ourthe. Juliette, enfant, y achetait des petits pains dits "pistolets" (à cause de leur forme). Dans son enfance, Tilff était une petite agglomération coquette mais rurale.

Le métier de graveur ne procurant pas assez de ressources à Tilff, Jean et Françoise décidèrent de tenter leur chance à Paris où, je suppose, Jean avait quelques contacts et connaissances professionnelles. Il partit d'abord seul, pour trouver logement et travail. Puis, quelques temps après, Françoise alla le rejoindre avec ses trois jeunes enfants. Une lettre avait annoncé leur venue, mais Jean eu tant de mal à déchiffrer ce que sa femme avait écrit en un curieux mélange de hollandais et de français, qu'il renonça et remit à plus tard. Il ne prévit donc nullement l'arrivée des voyageurs et Françoise se trouva seule, avec bagages et enfants, à la sortie de la gare. Au cocher de fiacre qui les prit en charge, elle ne put qu'indiquer "rue Saint Maur", sans plus de précision. C'est donc en entendant le cocher appeler à grands cris "Simonon !! ... Simonon !!" tout au long de la rue et sous ses fenêtres que Jean se précipita au devant de l'attelage, désolé, navré, honteux de sa négligence. Ils se retrouvaient, heureux tous les cinq d'être réunis, malgré cette arrivée mouvementée, et s'installèrent donc rue Saint Maur.

Les enfants furent désorientés par le changement d'école. Ce n'était plus, aux récréations, la cour vaste et ombragée de Tilff, mais un espace sans végétation réservée entre les bâtisses. Les parents, de leur côté, se souciaient du développement de la clientèle et de l'équilibre du budget. Jean n'acceptait pas n'importe quelle commande, refusant même tout sujet grivois ou tendancieux: "Fichez-moi le camp avec vos saloperies ! " lui arrivait-il de lancer malgré l'anxiété de Françoise. Aussi, je n'ai pu savoir à la suite de quels contretemps familiaux ou professionnels, cette première installation de la famille dut en définitive prendre fin. Les meubles et le piano furent vendus et tous repartirent pour la Belgique, pour Tilff, pour une habitation "sur le mont" qui était vraisemblablement celle que Maman nous montra.

S'écoula-t-il une année ou deux avant que leur seconde tentative d'installation à Paris fut la bonne? L'on peut le penser. Ils emménagèrent au n) 170 de la rue Saint Maur, dans l'appartement qu'occupa ensuite Roméo devenu graveur comme son père.

Jean Simonon, ancien élève des Beaux-Arts à l'université de Bruxelles, exécutait la gravure avec talent; ses travaux, d'une extrême finesse, étaient recherchés. Par ailleurs, il aimait les arts, et la musique en particulier. Aussi emmenait-il fréquemment ses enfants avec lui pour écouter des concerts ou voir jouer des opéras. Il y avait à nouveau un piano à la maison. Juliette, comme lui musicienne, retrouvait très bien sur le clavier, au retour du concert, les mélodies qui l'avaient charmée. Elle apprit ainsi à jouer de façon agréable à entendre, d'autant plus qu'elle s'intéressa ensuite à perfectionner son jeu. Je me souviens avec quelle assurance elle interprétait "Espania". Jean avait en outre un petit compagnon pour égayer son atelier de graveur: un joli serin jaune qui, dans une cage à montants de bois, installée sur la fenêtre, chantait pour tous. Juliette racontait que son père et sa mère étaient bons pour leurs enfants, qu'ils leur enseignaient la bonne tenue, la politesse, le respect d'autrui... Détail amusant, Jean n'allumait sa pipe que lorsqu'il se rendait au lieu où chacun va seul.

Dès la fin de leur scolarité, Juliette et Fanny s'employèrent comme vendeuses. La première au magasin du Bon Marché et la seconde à celui du Printemps. Ces grands établissements exigeaient de leurs employées beaucoup de tenue et de correction devant la clientèle. Elles devaient porter une robe uniforme et bien connaître les articles qu'elles présentaient. Juliette était attachée au rayon des chaussures et elle en garda l'enseignement. Ainsi, plusieurs fois dans notre enfance, au cours d'essayages chez un chausseur, elle donna un avis tout à fait autorisé sur telle forme, telle fabrication ou telle manière de lacer. Elle se fit une grande amie parmi ses collègues, en la personne d'une jeune fille de son âge, au beau regard bleu comme le sien, Marguerite Saulin. Se doutaient-elles, l'une et l'autre, que tout au long de leur existence, elles resteraient en aussi grande et affectueuse amitié?

En effet, lorsque par la suite leurs destins les éloigna l'une de l'autre, elles ne cessèrent de correspondre par lettres et je me souviens très bien de la venue de Marguerite, chaque année, à la Poignardière, dans notre enfance. Son bon coeur, sa discrétion et son charme m'ont laissé un fidèle souvenir.

Restée demoiselle, elle partageait avec sa soeur Marie-Louise un bel appartement, 11 rue Delambre à Paris 14e. Lorsqu'elle venait chez nous, elle n'oubliait pas les cadeaux et j'ai encore un jouet en bois, un clown, que je garde en souvenir plus de 65 ans après. Marguerite a terminé sa vie dans une résidence pour personnes âgées, toujours avec sa soeur, rue de Fourcry à Paris 4e. Elle se souvenait très bien de ses débuts avec Juliette.

Tandis que sa soeur Fanny épousait, à 19 ans, Léon Clément, un lochois chef de rayon au magasin du Printemps où elle était employée, de 13 ans son aîné, mais partageant sa joie de vivre et sa droiture de caractère, Juliette attendait que son destin se manifeste.

A l'occasion de congés d'été, Fanny et son mari devaient se rendre à Loches en Indre et Loire, où "Papa Clément" était artisan bottier, rue du Château. Juliette était, elle aussi, du voyage. Tout près de le rue du Château et de la boutique de Papa Clément se trouvait le domicile et le magasin de "Laines et tricots" de Léon Podevin et Mathidle Perrigault, son épouse. Les deux hommes et leurs familles étaient amis. Mathilde avait une soeur prénommée Lucienne, qui habitait Châtillon sur Indre. Elle eut l'idée d'organiser, en raison de la présence des parisiens à Loches, une partie de pêche en invitant son neveu Raymond Podevin, qu'accompagneraient son ami Léon Clément, sa jeune femme Fanny e la soeur de celle-ci, Juliette Simonon. Elle pensa à inviter, également, son cousin germain qui habitait dans la même rue des Ponts. Et, par une belle journée d'été 1912, la jeunesse et la gaieté se rencontraient au bord de l'Indre.