Postface


Postface
Patrice Huguenin

Roxame a été conçue par Pierre Berger afin de peindre, à partir de directives humaines introduites sur son clavier, des tableaux dont la réalisation s’apparente de la façon la plus proche possible à des œuvres d’art dont elle est la créatrice.

  • On peut alors se demander si la production d’œuvres d’art à travers un système informatique conçu pour laisser à la machine un degré significatif de liberté de traitement, permet, ou non, d’estimer qu’il y a une émergence, au sein de l’ordinateur, d’une faculté de création pouvant être qualifiée d’artistique.

Tout en se gardant d’évoquer les multiples définitions possibles de l’art, on peut néanmoins admettre qu’une œuvre d’art a généralement pour vocation de véhiculer un contenu émotionnel.

  • Il est probable que cette émotion est liée, de façon plus ou moins directe, à la perception existentielle dans laquelle évolue l’artiste, incluant en particulier la façon dont il ressent la vie et la mort.

En Occident ce ressenti est souvent liée à une perception clairement linéaire du temps qui s’écoule, et, en conséquence, au besoin pour chacun de se situer, à tout moment, dans cette linéarité.

Le contexte peut être très différent dans d’autres régions du monde, et cette différence se traduit par la place, la nature et le rôle les œuvres d’art qui y sont produites.

A partir d’une telle constatation, il est alors tentant de se demander si un ordinateur pourrait être capable d’intégrer une sorte de conscience de vie impliquant corollairement celle d’être mortel, et donc si, de ce fait, il serait capable de prendre en compte dans son fonctionnement une sorte de sensibilité s’apparentant à une pseudo-conscience, capable d’engendrer notamment des émotions, des peurs ou des espoirs, en échappant ainsi partiellement à son mode de fonctionnement calculateur par conception (et actuellement numérique, donc binaire).
Pour y parvenir, il conviendrait qu’il soit doté d’une sorte de sensibilité émotionnelle, nécessitant par exemple que la date de sa fin de vie ne soit pas inscrite dans ses programmes et qu’il soit en outre doté d’une faculté autonome de transformation continue (adaptation quasi-biologique), pouvant éventuellement aller jusqu’à inclure une capacité de conception de sa succession (sa descendance).

Ses créations de tableaux pourraient alors être admises comme artistiques dans la mesure où elles seraient portées par cette quasi-émotion liée à une sensibilité existentielle.

  • S’il en était ainsi, ces productions artistiques pourraient non seulement procurer du plaisir aux amateurs d’art (ce qui serait évidemment leur vocation essentielle) mais aussi constituer des révélateurs à la fois de la santé interne de l’ordinateur et de ses relations avec son environnement.

  • Aux ordinateurs actuels déshumanisés par le fonctionnement binaire et devenant couramment jetables par de constantes innovations technologiques de rupture, pourrait alors succéder une nouvelle génération de machines qui soit souple et évolutive par conception, afin d’être mieux adaptée aux caractéristiques existentielles humaines et à leurs évolutions continues.

Les productions artistiques de Roxame pourrait, dans un tel contexte, jouer un rôle original de liaison dans l’adaptation des ordinateurs à une humanisation de leur utilisation.

Dans une telle perspective il serait intéressant de perfectionner Roxame et la dotant de capteurs (vision, écoute) et de logiciels lui permettant d’être directement réceptive et sensible aux créations artistiques humaines, donc sans restreindre ce qu’elle reçoit à ce qui est entré par son clavier.

Cela pourrait contribuer à établir de façon informelle une complicité bénéfique de la machine au profit de la qualité de vie de l’humain.