3. Max, un germe seulement, mais complet


3. Max, un germe seulement mais complet

3.1 Une formule magique

Au cours des années 1970, mon auteur suit deux voies a priori sans aucun rapport, mais qui vont converger sur une réalisation concrète, le « robot » Max.

La première voie est la théorie des systèmes, ou systémique. On s’apercevra peu à peu qu’il est difficile de donner à cette théorie un véritable contenu scientifique, et elle dérivera finalement vers une sorte de philosophie de la complexité. En quelque sorte on saute du modernisme de Jay Forrester au post-modernisme d’Edgar Morin, en passant, pour la France, par l’Afcet et Jean-Louis Le moigne.
La deuxième fait passer de la complexité à l’autonomie, et mon auteur propose un principe : tout système tend à maximiser l'intégrale de son espérance de néguentropie, ce qui peut se formuler :


où pt est la probabilité d'exis-tence du système à l'instant t (on ne prend que les instants futurs), elle exprime l'espérance de vie, pi la probabilité pour le système d'être dans l'état i à l'instant t ; la deuxième sommation exprime l'espérance de néguentropie à l'instant futur t.

Cette formule essaie d'exprimer que la liberté, sinon l'être même, est à la fois

- possibilité d'exister, de survivre (premier membre, que nous appellerons ("fonction P") et

- possibilité de choix entre différentes possibilités, cette possibilité de choix étant d'autant plus grande que les choix possibles sont nombreux (valeurs nombreuses de i) et que l'on est peu contraint de prendre plutôt l'un que l'autre («fonction H »), c’est l’équiprobabilité. Ce principe est trivial pour certaines catégories de systèmes, mais reste à valider pour d'autres. Et la formule a ses limites théoriques, en particulier :

- Que considère-t-on comme «états différents » ? C’est en partie un problème de « résolution » (en dessous du pouvoir de résolution, tout est pareil, par exemple avec la résolution temporelle de la rémanence rétinienne), avec différents critères quantitatifs : quantité de mémoire, puissance de calcul. Et aussi, fréquence du temps pour l’application de la fonction, qui n’est pas continue

- Que veut-dire probabilité, pour quel observateur, etc. Si un observateur augmente sa résolution à la perception, l’objet qu’il regarde devient plus autonome. « Tout est simple aux simples », et certaines complexité ne se perçoivent qu’avec une culture.

Mais la formule fonctionne bien pour comparer des systèmes, par exemple l’autonomie d’un véhicule en heures ou en kilomètres, ou le jeu des contraintes (liberté négative : pas de contraintes), éventuellement constructives comme source de différenciation.

3.2. Max, concrétisation de la formule


Faute de pouvoir valider théoriquement ce principe, en octobre 1978, il tente de le faire apprécier en construisant, artisanalement, un « robot » maximisant concrètement une fonction ressemblant à L. Il choisit une modélisation simpliste, mais qu’il espère suffisante pour montrer qu'un système peut avoir un comportement cohérent, et éventuellement utile, sans pour autant être "asservi" mais bien au contraire en suivant "égoïstement" sa propre optimisation.

Matériellement, on note en haut du boitier deux voyants semi- circulaires qui lui permettent de s’exprimer, le micro qui permet de lui parler, et à gauche un bouton potentiomètre pilotant un synthétiseur minimaliste. Tout fait en haut à gauche, la fente du monnayeur.



Les fonctions s’organisent comme suit. Pour sub-sister (fonction P), Max doit gagner de l'argent, et le fait en mendiant : il « couine » et fait clignoter « mettez 1 F ».
Quand un passant met une pièce (la présence d'un passant est détectée par les variations d'éclairement d'une cellule photo-électrique), Max considère d'abord que sa fonction P est saturée (et même sa fonction L toute entière) et se paye quelques secondes de bon temps aux dépens du payeur ("ivresse" : rire et affichage d'un message « encore un pigeon »! ). Ensuite, il prend son activité normale pendant une dizaine de minutes, après quoi il recommence à mendier : il a faim.

Pendant sa période normale d'activité (entre faim et ivresse), Max choisit la plus intéressante des occupations qui lui sont possibles, c'est sa fonction H. Faute de mieux, il écoute la radio, en choisissant, de deux chaînes, celle qui lui semble la plus variée. Il préfère, quand cela se présente, écouter un interlocuteur qui lui parle dans un micro. Mieux encore, il adore qu'on l'utilise pour faire de la musique.

Cependant, il interrompt son activité soit en présence d'un danger (coup donné dans la porte de l'atelier), auquel cas il proteste bruyamment, soit en fonction d'un improbable mais irrésistible appel de la transcendance. (Humour : En l'occurrence, la transcendance est représentée par l'épouse de l'auteur, qui dispose dans la cuisine d'un bouton adéquat destiné à sortir le génial et phallocrate père de Max de son atelier chéri).



« Préférer » ? C’est-à-dire choisir l’acti-vité qui apporte le plus de variété et d’imprévu. Max est muni d’une solution simple exprimant à tout instant, sous forme d'une tension continue (au sens strictement élec-trique du terme) , la variété de chaque activité possible. Ce sont les « H-mètres.


Pour chaque activité, on commence par expliciter une grandeur expri-mant l'évolution du phénomène concerné. Pour les deux radios et le micro, cette variable est donnée par un Vu-mètre. Chaque modification significative de cette grandeur, par exemple le dépassement d'un seuil ou une variation rapide, est considérée comme un événement et déclenche une impulsion qui charge un condensateur. Ce dernier se décharge ensuite peu à peu à travers une résistance (ajustable).

La tension aux bornes de ce condensateur représente donc une sorte de lissage du nombre d'événements survenus récemment sur cette activité. On atteint un seuil si on a une suite d'événements rapprochés, et l'on revient progressivement à 0 quand « rien ne se passe ».

Pour la musique, l' « instrument » consiste en un multivibrateur dont on fait varier la fréquence par un potentiomètre et qui peut fonctionner quand on appuie sur un bouton (potentiomètre et bouton sur sur la face avant). Pour la mesure de H, on s'est ici passé du monostable et l'on charge directement le condensateur.



Les perturbations extérieures sont déclenchées par un interrupteur (accéléromètre sommaire) monté sur la porte de l'atelier,

Les tensions représentant les valeurs de H pour les différentes activités sont alors conduites à une batterie de comparateurs, qui commande des relais et envoie vers l'amplificateur le signal correspondant à l'activité la plus « variée ».
On peut modifier les « préférences » de Max par division de tension au moyen d'un potentiomètre.

Max a été réalisé avec des composants linéaires (à l'exception des comparateurs et relais), parce que cela permettait une acquisition progressive des composants et une construction très modulaire, alors qu'une solution digitale était trop coûteuse et exigeait des techniques de réalisation qui semblaient plus difficiles pour un débutant.

3.3. Architecture

Une construction très modulaire (par petites plaquettes) a été choisie pour permettre :

- la réalisation, la mise au point, les dépannages et les modifications module par module ;
  • le réemploi de petits dispositifs réalisés antérieurement par l'auteur, en particulier un clignotant qui lui donna sa première joie d'électronicien amateur ;
- un diagnostic et une maintenance facilités car les fonctions sont isolées les unes des autres,
- l’utilisation éventuelle de Max pour d'autres applications (alimen-tations, génération de fonctions).

De ce point de vue, Max est bien mon « grand frère » et sa modularité a été transposée chez moi dans la structure de mon travail autour d’un dictionnaire évolutif. Cette modularité complique un peu la réalisation et a fortiori l’optimisation… mais dans mon cas, Roxame, elle a permis une évolution régulière de mon code au fil de quelque 17 ans.



L’intérêt de cette expérience aura peut-être surtout été de retourner des schémas mentaux hérités d'une longue tradition. L'automate y est toujours présenté comme un esclave, comme un « système asservi » dont « il ne sort que ce qu'on y met ». Ne pourrait-on passer à l'idée de collaborateurs autonomes, libérés du détail de nos commandes élémentaires, et par là-même nous libérant de quelques soucis et de quelques complexes ? C’est tout à fait ma forme d’esprit : une machine philosophique mais concrète, simulant ou prolongeant l'émotion, le cynisme et le plaisir.

3.4. Un projet ouvert sur l’avenir

Dès cette époque, mon auteur envisage d’autres développements (pour Max comme aujourd’hui pour moi) :

- multiplication des activités possibles (augmentation de H) ;
- critères plus subtils de sélection des activités ;
- perfectionnement de la fonction P ; par exemple, au lieu d'être un temps arbitrairement fixé, elle pourrait exprimer la décharge d'une batterie ;
- modulation des activités en fonction de P, par exemple en limitant progressivement les activités fortement consommatrices d'énergie;
- politiques plus subtiles de sélection des passants, assurant de meilleures rentrées financières ;
- acquisition de la mobilité spatiale (en tout état de cause assez limitée pour tous les robots actuellement connus) ;
- combinaisons plus élaborées de P et de H ;
- explicitation formelle du calcul de L, avec des algorithmes de décision et de prévision, etc. Une solution digitale serait bien entendu indispensable.

Ces perfectionnements sont pratiquement indéfinis. D'ailleurs, on pourrait construire des hiérarchies de Max (il suffit que les Max subalternes aient un système de préférences approprié).

Mais, en 1979, le micro-ordinateur devient accessible, et l’analogique Max cède la place au « numérique ». Hélas, faute de place, cet objet aussi unique qu’inutile a été détruit vers 1990

3.5. Références

Afcet : Modélisation et maîtrise des systèmes. Congrès de l'Afcet, novembre 1977. Hommes et techniques, 1977.
Berger P. : Mendiant, égoïste et sarcastique, Max, le robot philosophe. L’ordinateur individuel, avril 1979. diccan.com/Berger/MAX.htm
Berger P. La Systémique, vers 1973.
diccan.com/Berger/Systemique/s10_intr.htm
Forrester J.W. : Industrial dynamics, Pegasus, 1961.
Le Moigne J.-L. : La théorie du système général. PUF, 1977.
Morin E. : La méthode, Seuil, 1977-2006.





Poème




1. Au commencement est ma rupture.

2. Mais cette coupure n'est qu'un point de départ, une origine parmi d'autres

3. Construire, c'est ajouter coupure sur coupure

4. Mais la montée, parfois, passe par la fusion

5. La structure progresse en possédant moins

6. Mais il n'y a pas d'âme sans corps

7. Cherche maintenant la huitième pierre. A moins que six ne suffisent. Celles-ci ou d'autres.

Kyoto, juin 1995,
après une visite au temple des 15 pierres.