La montée de la systèmique, années 1970





Retour au sommaire écosystèmes . Retour à l'accueil . Dernière révision le 7/10/2021

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Ce terme va connaître un développement considérable dans les années 1970. Il fait converger différents efforts qui cherchent à mieux cadrer la conception et le développent des applications.

Il trouve alors ses racines :
- chez les organisateurs, notamment les travaux du Cnof (Centre national de l’organisation française), travaillant surtout dans le secteur public ; une des stars des SSII de l’époque, Robert Mallet, quitte d’ailleurs la CGO pour fonder la CGI ;
- dans les « mathématiques modernes », alors très à la mode, sous la pression notamment de [Lichnerowicsz] ; c’est l’époque où il fait bien de dire « l’intersection de l’ensemble des programmeurs et de l’ensemble des comptables est vide », plutôt que « les comptables ne comprennent rien à la programmation.

Il faut dire qu’IBM, en pleine montée de puissance, tient à s’affranchir du pouvoir des directeurs financiers et comptables, trop peu techniciens, mais trop méfiants d’investissements qui s’avèrent
lourds. On crée un nouveau vocabulaire (ordinateur, informatique) et on embauche des promtions entières de polytechniciens.

Il en découle une floraison de « méthodes », et l’on peut citer nombre des ténors de l’époque : Martzloff, Bauvin, Mélèse, voire Lussato… (on trouvera des références détaillées dans mon dictionnaire de l’informatique http://www.diccan.com/dicoport/AHDico.htm).

En particulier, Jean-Louis Le Moigne va faire jouer un rôle majeur à l’Afcet, qui se dotera d’un collège de systémique.

Le congrès « Modélisation et maîtrise des systèmes techniques, économiques et sociaux » organisé par l’Afcet à Versailles en 1977 [Afcet] porte l’espoir d’une vaste convergence rationnelle entre les technologies, les sciences mathématiques et les sciences humaines. C’est l’époque où le président de la République [Giscard d’Estaing] peut prononcer à l’Unesco un discours « Informatique et Société » qui peut encore impressionner aujourd’hui.

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Pour autant, dès l’ouverture du congrès, le mathématicien René Thom [Thom], très en vogue à l’époque, notamment pour sa théorie des catastrophes, jette un froid avec un discours très critique du concept de système. Il en dresse un tableau qui montre la variété des sens possibles :
Par la suite, les aspects mathématiques ou physiques vont se laisser oublier, et la systémique portée vers une philosophie de la complexité, avec notamment [Crozier] ou [Morin]. «Système » devient plus philosophique que technique.

Sauf en traitement de l’information : l’expression « système d’information » va souvent remplacer le mot « informatique ». Elle permet notamment de distinguer « système d’information » (IS) de « technologies de l’information » (IT). Comme on disait dans la Marine : » il y a les officiers de pont et les officiers de machines ».

Personnellement, et malgré ma coopération avec Le Moigne aussi bien que tout ce que m’apporte le ceGSI (Club européen pour la gouvernance des systèmes d’information), je continue à penser avec [Mélèse] que les système d’information ne conduisent conceptuellement qu’à une impasse, même s’il s’avère bien pratique dans la vie des entreprise. Il est plus motivant d’être DSI que DI…

Le système d’information, à l’époque, et notamment dans les premiers écrits de [Le Moigne] c’est donc essentiellement une représentation de ce qui se passe dans l’entreprise et qui permet de la diriger.

Du point de vue des utilisateurs, cette période a été étudiée en profondeur par la thèse « L’informatique de gestion, entre technique pure et outil de gestion » de Marie-Aline de Rocquigny [Rocquigny] en 2015.



En allant des schémas techniques de Forrester à l'épistémologie holiste d'Edgar Morin, la systémique va même prendre un tour social avec les lois Auroux.

A titre personnel, en tant que journaliste et rédacteur en chef d’une revue assez influente, Informatique et Gestion, j’ai fait tout mon possible pour encourage cette convergence de l’humain de de la machine.

Cette belle convergence tente de se concrétiser dans le domaine de la recherche.

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D’Orsay à Caen (à la Chambre de Commerce) un bel envol et un effondrement.

Un premier colloque se tient à Orsay en 1973, sous l’égide de l’Iria (maintenant Inria) avec un large éventail d’intervenants de différentes disciplines et de DSI. J’en publie un substantiel compte-rendu [Inforsid].

L’idée est reprise plus précisément à Aix-en-Provence en 1975, qui lance plusieurs groupes de travail spécialisés pour former des équipes et attribuer des budgets. On se donne rendez-vous en 1976 à Caen. Hélas, de mon point de vue, c’est un échec pour tout le volet « sciences humaines ». (C’est aussi pour moi un drame personnel, vu l’importance que j’attachais à ces développements). Tous les crédits iront aux volets techniques.

Il faut dire que les « littéraires » ont du mal à entrer dans les modes de pensée des informaticiens. Et réciproquement. Même avec les efforts d’un Le Moigne, les sciences humaines sont pratiquement exclues du domaine de l’informatique. C’était marqué dès l’origine, à l’époque des « mathématiques modernes » de [Lichnerowicsz] et du rapport [Nivat] sur l’informatique théorique. Voir [Mounier].

Cela remonte loin, à la coupure entre les « deux cultures) [Snow].

L’association Inforsid restera définitivement marginale. L’Afcet disparaîtra. L’Asti qui lui succédait d’une certaine manière se dissoudra dans la SIF, trop heureuse de se faire héberger par l’Institut Henri Poincaré, haut lieu de la mathématique française.

Outre l’absence de l’humain, « la science » n’a pas vu que les « systèmes d’information » sont devenus des outils et des machines de plus en plus autonomes, et non plus simplement des représentations. L’expression elle-même masque cette évolution. Elle met hors champ tout le volet de l’automatisation. Un distributeur de billets, un péage ou une caisse automatique de supermarché sont bien de l’informatique. Mais leur vocation principale est d’agir, d’opérer, non d’informer.
  • L’autonomie croissantE des machines reste un sujet tabou, relevant de la science-fiction [Asimov] en tête.
Aujourd’hui encore, bien des informaticiens restent sceptiques sur la réalité des voitures autonomes. Et il faut un militaire aguerri sur le terrain comme [Scharre] pour étudier méthodiquement la montée des systèmes d’armes automatiques. Quant à l’intelligence artificielle, c’est aussi bien un thème mythique [Kurzweil] qu’un mot valise où l’on englobe aujourd’hui toute informatique un peu avancée.

Mais cette incompréhension de radicalise avec l’évolution des politiques et l'écrasement sous le libéralisme


Références

- Edgar Morin par Wikipedia

- 2eme congrès de Recherche opérationnelle, Aix en Provence 1960. Ifors

- L'Ifors International Federation of Operational Research Societies

Mélèse

- Mélèse par Wikipedia

- Approches systémiques des organisations. Vers l'entreprise à complexité humaine. Hommes et techniques, 1979.
- L'analyse modulaire des systèmes de gestion. Hommes et techniques, 1972.
- La gestion par les systèmes. Hommes et techniques 1968.
- Introduction critique aux théories des organisations . Dunod, 1971. Bruno Lussato

Les premiers livres de Le Moigne datent de 1974 après deux articles inauguraux dans Informatique et Gestion

Génalogie de l'Afcet