Prenez vos vacances en misarchie

Avec trois ans de retard, nous découvrons (merci, Mathilde) le surprenant « Voyage en misarchie », d’Emmanuel Dockès (Editions du Détour, 2017, réédition en 2019). Pas banal. C’est un récit de voyage qui commence par un accident d’avion et le salut apporté par une secte masochiste… et se poursuit à travers le pays d’Arcanie, en nous offrant au passage de longs exposés politico-juridico-sociaux. Tunnels faciles à passer si les aventures amoureuses vous intéressent plus que le droit. Mais faciles à retrouver si vous avez des remords, grâce à une table des matières sophistiquée et un index qui ne déparerait pas un essai philosophico-universitaire traditionnel, mais sans bibliographie.

L’esprit général évoque assez mai 68. Avec plus de réalisme. Dockès ne croit pas aux lendemains qui chantent. Toute démocratie est et reste un bricolage, avec ses experts spécifiques :  « Tu devrais aller voir Amogh, c’est un de nos meilleurs bricoleurs de perspective normatives ». Pour autant, il faudra une révolution pour que les bricolages arcanies prennent le pouvoir en Alterbriie.

Le livre est « un essai pour tout reconstruire », et passe tout en revue, du sexe à la suppression des monnaies. Il est tout de même centré sur la spécialité de l’auteur : le droit du travail, qu’il enseigne à l’université de Nanterre. Voyez (Wikipedia) ou son entretien avec entretien filmé en compagnie de Laure Toulemonde dans La fabrique de l'emploi. Certains points sont racontés comme des débats, par exemple le revenu universel.

Il appelle donc méditation et approfondissement sur les différentes points, surtout la rémunération du travail, assez compliquée, d’ailleurs.

Nos premières impressions :

1. Misarchie, c’est trop négatif On ne peut pas construire une société sur une phobie, même s’il s’agit du pouvoir en général. 

2. Dockès ne perçoit pas la force structurante des technologies. Son récit s’agrémente
ici ou là d’un peu de science fiction sur les transports en commun ou les téléphones portables, un peu (à peine) plus perfectionnés que ceux d'aujourd'hui.

Mais sur le fond, elles ne l’intéressent pas (c’est visible aussi dans son entretien ci-dessus). L’index le montre clairement : on n’y trouve pas les mots algorithme, Internet,  réseau (social ou pas), machine, robot, technique, technologie… et encore moins, si à la mode aujoud’hui, l’IA.

Nous pensons au contraire, et c’est tout le sens de gouvmeth.com, que les technologies sont structurantes. Non pas déterminantes (à la Marx, dirais-je). Mais la vapeur, l'électricité, le moteur à explosion ... Internet, ....  Zoom et Discord, ne sont pas de purs "outils" que la société pourrait plier à sa guise. Technologie et société se construisent ensemble.
  La monumentale Histoire du travail (dirigée par Louis-Henri Parias, 4 tomes, Nouvelle librairie de France, 1960) en suit le parcours depuis les origines.

3. Dockès met toute la faute sur le pouvoir du capital. Certes. Mais le capital essentiel, aujourd’hui, ce sont les Gafa (plus Microsoft, Tesla et quelques autres, sans oublier le BATX chinois). Or ces entreprises n’ont pas les origines ni le profil des entreprises capitalistes traditionnelles. Ce n’est pas la Bourse qui les a créées, mais des fondateurs de génie poussés par des ambitions démesurées. Que certes la Bourse adule, de manière déraisonnable d’ailleurs.

Le problème, c’est que ces entreprises poussent les technologies à des allures « exponentielles », pendant que les outils et les méthodes démocratiques en sont encore à l’âge du bulletin en papier. Et que plus personne n’y croit, sauf quelques militants attardés (dont nous faisons partie). C’est là qu’il y a peut-être encore une chance de changer le monde, et de donner raison à Emmanuel Dockès.

Notes et commentaires

- Les municipales ont été une élection sans le peuple. Le second nstitué un « collapse démocratique ». Jean-Luc Dormagen, interviewé dans Le Monde des 19-20 2020.


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